[Bonus] Libre à vous : Les Blockchains
S01:E11

[Bonus] Libre à vous : Les Blockchains

Episode description

Cet épisode bonus est extrait de l’émission n°231 de “Libre à Vous” de l’April, diffusée le mardi 14 janvier 2025 sur Radio Cause Commune (sur cause-commune.fm et 93.1 FM en Île-de-France). La transcription complète de l’émission est disponible sur le site Libre à lire.

“Libre à Vous” est une émission dédiée à la promotion et à la défense du logiciel libre, diffusée chaque mardi de 15h30 à 17h00.

Aujourd’hui nous parlerons de Blockchains.

Liens :

Download transcript (.srt)
0:02

[Générique] Libre à vous

0:04

L'émission pour comprendre et agir avec l'April

0:07

L'association de promotion et de défense du Logiciel Libre.

0:17

[Frédéric] Nous allons poursuivre avec la chronique de Benjamin Bellamy, le truc que presque personne n'a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous. Aujourd'hui Benjamin devait nous parler des blockchains mais je vois qu'il est venu avec des dés de jeux de rôle. Je crois donc qu'il va nous parler de Daron John et Dragon. Bonjour Benjamin !

0:33

[Benjamin] Bonjour Frédéric, alors pas tout à fait, c'est d'un autre jeu dont je vais vous parler, le Monopoly.

0:39

[Frédéric] Mais le Monopoly ça se joue pas avec des dés à 10 faces !

0:42

[Benjamin] Alors figure-toi que si tu veux être à la page en 2025, si.

0:45

[Benjamin] Bon, vous l'avez deviné, une fois encore je vais abuser de moult métaphores pour vous expliquer un truc que presque personne n'a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous.

0:54

[Benjamin] Car j'aurais pu vous dire qu'une blockchain c'est "un registre distribué avec des blocs validés organisés dans une chaîne séquentielle en ajout uniquement avec l'aide de liens de hachage", comme le définit l'ISO mais je vous aurais perdu en 30 secondes. Alors vous êtes prêts ?

1:07

[Frédéric] Prêt !

1:08

[Benjamin] Fermez les yeux et imaginez des élèves en train de jouer au Monopoly.

1:12

[Benjamin] Mais ils ont perdu les billets, donc avec du papier, des crayons de couleur et des ciseaux, trois élèves fabriquent 10 billets toutes les 10 minutes.

1:19

[Benjamin] Comme c'est eux qui prennent la peine de les fabriquer, ils les gardent pour eux bien sûr et ils effectuent des transactions avec les autres pour leur acheter des rues.

1:26

[Benjamin] Quant aux autres, ils sont contraints de leur vendre leur goûter contre des faubillés de Monopoly pour pouvoir commencer à jouer.

1:31

[Benjamin] Puis comme on est quand même au 21ème siècle, il décide de remplacer les billets en papier par…

1:37

[Frédéric] Par une blockchain.

1:38

[Benjamin] Bingo. Car justement ils ont entendu qu'une des propriétés des blockchains c'était de s'affranchir de tout tiers de confiance, or ça tombe bien, depuis qu'ils ont perdu leur goûter ils ne font plus confiance à personne.

1:49

[Benjamin] Donc ils créent leur blockchain, pour savoir combien a chaque élève, ils décident de noter chaque transaction sur les pages d'un cahier. Par exemple, Claude donne 2 à Gabriel·le et Gabriel·le donne 1 à Michel·le. Toutes les 10 minutes, ils regroupent les transactions passées sur une page et en bas de page, ils mettent un coup de tampon. Le tampon c'est le hachage, la page c'est le bloc, le cahier c'est le registre.

2:10

[Benjamin] Mais comme personne ne fait confiance à personne, et surtout pas au professeur, ce communiste qui pourrait abuser de son autorité,

2:16

[Benjamin] tout le monde peut avoir une copie complète du registre, une copie synchronisée.

2:20

[Benjamin] Note bien que dans le registre on peut ajouter des transactions mais pas en enlever, ajout uniquement on a dit.

2:25

[Benjamin] Toutes les dix minutes donc, tous les élèves de la classe qui veulent passer une transaction vont l'écrire au tableau, reste qu'à recopier dans le nouveau bloc.

2:32

[Frédéric] Ok mais puisque personne ne se fait confiance, qui écrit le blog dans le registre ?

2:36

[Benjamin] Ah, quelle excellente question ! Effectivement, il faut décider qui va écrire dans le registre et c'est bien le plus gros problème.

2:44

[Benjamin] Si tout le monde faisait confiance au professeur ou à n'importe quel élève, c'est lui qui tiendrait le registre et on n'aurait pas besoin de blockchain.

2:51

[Benjamin] là personne n'a confiance en personne donc pas le choix on va le faire à tour de rôle pour chaque bloc. Imaginons que nos trois élèves de tout à l'heure se portent volontaires pour tenir le registre.

2:59

[Frédéric] Du coup c'est facile, il suffit de tirer au sort.

3:01

[Benjamin] Ah, et ben non, pas du tout. Tirer au sort, ça impliquerait que quelqu'un fasse le tirage au sort, donc quelqu'un en qui tout le monde a confiance. Et justement, y'en a pas.

3:10

[Frédéric] Alors comment on fait ?

3:11

[Benjamin] Il y a plusieurs solutions plus ou moins efficaces et plus ou moins fiables. Ils choisissent la plus fiable, celle utilisée pour le bitcoin, et elle est assez ingénieuse. Comme on nage en pleine métaphore, je vais simplifier énormément mais ça nous permettra de piger le système.

3:25

[Benjamin] Donc trois élèves se sont portés volontaires pour écrire dans le registre. T'as deviné, eux c'est des mineurs.

3:30

[Benjamin] Chacun regarde le tableau, choisit les transactions qu'il souhaite écrire dans le prochain bloc. (Il peut y avoir trop de transactions pour que tout tienne dans un seul bloc donc il faut bien choisir.)

3:38

[Benjamin] Chaque mineur a son bloc prêt, on a 3 mineurs donc il faut choisir lequel des 3 blocs va être inscrit.

3:43

[Frédéric] Et sans personne pour tirer au sort ?

3:45

[Benjamin] C'est ça ! Et l'idée de génie, pour choisir, c'est de demander au mineur une preuve de travail.

3:50

[Frédéric] Une preuve de travail, ça veut dire quoi ?

3:52

[Benjamin] Imagine, chaque mineur a préparé son bloc avec les transactions qu'il a choisies.

3:57

[Benjamin] Il fait la somme des montants de toutes les transactions de son bloc, puis il garde que les deux derniers chiffres. Il obtient donc un nombre A, compris entre 1 et 100.

4:06

[Benjamin] puis muni de 2 dés à 10 faces, mes fameux dés, il lance deux dés,

4:11

[Benjamin] un pour les dizaines, un pour les unités. Il obtient un second nombre B lui aussi compris entre 1 et 100.

4:17

[Benjamin] Si ces deux nombres A et B sont différents, c'est raté, ils relancent les dés.

4:22

[Benjamin] Le premier des mineurs qui réussit à avoir deux nombres égaux crie "J'ai trouvé !" Il communique à tout le monde son bloc et le résultat de son tirage, tout le monde vérifie que tout est conforme et bam, le mineur est élu, il écrit son bloc et on synchronise toutes les copies.

4:35

[Frédéric] Donc en fait la preuve de travail c'est juste un lancer de dés.

4:38

[Benjamin] Pour ainsi dire oui.

4:39

[Benjamin] Mais là où c'est vraiment futé, c'est que si un des mineurs voulait tricher, en se faisant passer discrètement pour 12 mineurs différents, en se disant qu'il va augmenter ses chances de gagner, et bien il va rien gagner du tout : il a que deux mains, donc il va pas pouvoir faire plus de tirages, donc il aura toujours exactement le même nombre de chances d'être élu.

4:55

[Frédéric] Mais si on prend 30 mineurs au lieu de 3, globalement on aura quand même plus de chance que l'un des mineurs trouve plus vite , non ?

5:02

[Benjamin] Ouais et l'astuce c'est que les règles de la blockchain disent que la complexité augmente avec le nombre de mineurs .À 30 mineurs par exemple.

5:08

[Benjamin] pour le premier nombre A, on va prendre les 3 derniers chiffres de la somme des transactions du bloc, et pour le deuxième nombre B, chaque mineur devrait lancer 3 dés à 10 faces.

5:18

[Frédéric] Et à 300 mineurs on prend les 4 derniers chiffres et 4 dés.

5:21

[Benjamin] C'est ça, t'as tout compris. Plus le nombre de mineurs croit, plus le tirage au sort devient complexe et au final la probabilité totale que quelqu'un trouve en 10 minutes reste la même. Mais le travail fourni par tous les mineurs, y compris ceux qui perdent, devient colossal. Remplace les dés par des calculs informatiques est à la consommation électrique d'un pays entier.

5:39

[Frédéric] Oui mais il y a quand même deux choses que je ne comprends pas. 1, Quel intérêt ont les mineurs à se fatiguer à lancer des dés pour écrire des transactions des autres, ou même pour rien ? Et 2, Qu'est-ce qui garantit que les transactions inscrites, recopiées du tableau, sont authentiques ? C'est à dire que les informations de la blockchain reflètent bien la vie réelle ?

5:55

[Benjamin] Alors pour motiver un mineur c'est très simple on va le payer à chaque fois qu'il est choisi pour écrire un bloc. Sinon effectivement on n'aurait pas de mineur et donc pas de blockchain.

6:03

[Benjamin] Et qu'est-ce qui garantit que les informations de la blockchain reflètent la vie réelle ?

6:08

[Benjamin] Rien ! C'est tout à fait impossible quand tu ne fais confiance à aucun tiers pour certifier une écriture.

6:14

[Frédéric] Donc on fait tout ça pour rien ?

6:16

[Benjamin] Une blockchain peut garantir que ces transactions ont bien été écrites et c'est tout.

6:22

[Benjamin] Pas qu'elle représente un événement réel. Donc le seul et unique cas où les transactions de la blockchain sont authentiques, c'est quand elles se suffisent à elles-mêmes. On dit que les transactions d'une blockchain sont performatives. En clair, une blockchain garantitt juste qu'on a bien écrit une transaction dans une blockchain.

6:38

[Benjamin] Elle ne garantit jamais la signification que cette transaction pourrait avoir dans le monde réel.

6:44

[Frédéric] Donc c'est ça qu'on reproche aux blockchains ?

6:46

[Benjamin] Paradoxalement pas vraiment, ce qu'on entend en général c'est que le choix du mineur pour écrire un bloc est très énergivore. En effet, n'importe quel système de transaction sans blockchain avec un tiers de confiance – une banque, un état, une place de marché ou autre

7:00

[Benjamin] sera toujours infiniment plus économe et efficace. Mais c'est pas le plus problématique à mon sens. Le pire, il me semble,

7:06

[Benjamin] c'est qu'on rattache presque toujours une blockchain au monde réel. Or stocker n'importe quelle information du monde réel dans une blockchain n'a absolument aucun sens.

7:13

[Benjamin] Un diplôme par exemple a forcément un tiers de confiance, c'est l'établissement qui le délivre.

7:18

[Benjamin] Et il n'y a donc aucun intérêt, j'insiste bien, aucun intérêt, à le mettre dans une blockchain. Idem pour les passeports, les billetteries, les certificats de traçabilité ou autres. Tout ça, c'est du caca de taureau.

7:30

[Frédéric] Carrément.

7:30

[Benjamin] Oui et c'est pas tout car les blockchains ont encore bien d'autres défauts structurels. Le nombre de transactions par seconde est ridicule. Pour le bitcoin par exemple, c'est 7 transactions par seconde maximum pour l'ensemble de la planète.

7:42

[Benjamin] Les frais de transaction sont incontrôlés, en ce moment il faut compter environ 2$ par transaction pour le bitcoin ce qui est prohibitif, mais ça a déjà dépassé les 100$.

7:50

[Benjamin] La volatilité des prix pose aussi de gros problèmes. Et ça en fait une réserve de valeur très risquée. Et puis surtout ça en fait un intermédiaire des échanges peu adapté. On se souvient que la toute première pizza achetée en 2010 l'avait été pour 10 000 bitcoins,

8:03

[Benjamin] soit quasiment un milliard de dollars au cours actuel. (Au passage, j'espère qu'elle était bonne.)

8:09

[Benjamin] On parlera ainsi de cryptoactifs plutôt que de crypto-monnaies.

8:13

[Benjamin] Et puis enfin, les blockchains n'autorisent pas les erreurs, les corrections sont impossibles. Si vous effectuez une transaction vers la mauvaise adresse, voire vers une adresse qui n'est utilisée par personne, il est impossible de l'annuler, c'est perdu à jamais.

8:25

[Frédéric] Mais quand tu disais que ce c'est énergivore, c'est pas totalement vrai. Par exemple, j'ai entendu que certains acteurs utilisent l'énergie thermique du minage pour se chauffer. Donc il existe bien des pistes pour des blockchains plus vertueuses non ?

8:36

[Benjamin] Alors d'abord ça sera toujours moins écologique qu'un système sans blockchain. Et d'autre part, et ben en fait non.

8:40

[Benjamin] Pas du tout ! Le minage écologique est un mensonge au sens même de la blockchain.

8:46

[Benjamin] Reprenons la métaphore des lancers de dés. Imagine que l'un des mineurs possède en parallèle une entreprise qui justement réalise des vidéos de lancers de dés,

8:53

[Benjamin] et vends ces vidéos parce que pourquoi pas il y a un marché pour tout.

8:56

[Benjamin] Ça lui permet de jouer sur deux tableaux, chaque lancer lui permet de miner et en même temps de faire commerce de vidéos.

9:01

[Benjamin] Je suis d'accord, le minage n'est plus un gaspillage pur, mais en faisant cela, il s'octroit un avantage sur les autres mineurs, il va pouvoir miner plus et potentiellement tellement qu'il va finir par écrire tous les blocs,

9:11

[Benjamin] ou même créer des versions concurrentes de la blockchain pour s'autoriser des doubles dépenses. La conséquence c'est que ça va entamer la confiance dans le système.

9:19

[Benjamin] Or, la preuve de travail n'existe que pour instaurer la confiance. Ainsi, tout gain parallèle qui limite le gaspillage du minage réduit la confiance et in fine détruira le système.

9:31

[Benjamin] Pour qu'une blockchain fonctionne, il est indispensable que le minage soit coûteux et inutile.

9:36

[Benjamin] Aujourd'hui le minage du bitcoin consomme en continu environ la production de 10 centrales nucléaires pour 7 transactions par seconde max, ça fait cher le tirage au sort.

9:46

[Frédéric] Bon en bref, ce que tu dis c'est que les blockchains ne servent à rien, comment tu expliques leur succès alors ?

9:51

[Benjamin] Je dis pas qu'elles servent à rien, je dis juste que j'ai encore jamais vu de cas où elles étaient utiles, hormis celui de tenir un registre de transactions en cryptoactifs dans le but exclusif de créer une bulle spéculative.

10:02

[Benjamin] Mais après je reconnais que ça reste une technologie assez fascinante, regarder une blockchain tourner ça a un côté hypnotique.

10:09

[Benjamin] Alors imagine si en plus tu y as investi ton argent, tu vas suivre son évolution avec un intérêt tout particulier.

10:14

[Frédéric] Donc finalement, tu ne nous conseilles pas d'y investir nos économies.

10:17

[Benjamin] Finalement, pas trop non. Pour faire simple, les cryptoactifs ne servent principalement aujourd'hui qu'à alimenter une gigantesque pyramide de Ponzi.

10:26

[Benjamin] Tant qu'il y a des acteurs, ça continue de gonfler.

10:28

[Benjamin] Elle va atteindre les 2000 milliards de dollars en Bitcoin.

10:31

[Benjamin] Au passage ça veut dire que virtuellement on a donné 2000 milliards de dollars aux mineurs juste parce qu'un algorithme les a tiré au sort c'est quand même une sacrée loterie et ça me laisse plutôt perplexe.

10:39

[Benjamin] Alors quand je vois un fonds d'investissement comme BlackRock investir en masse dans les crypto actifs,

10:45

[Benjamin] ça me choque pas, ces gens là n'ont qu'un seul objectif, c'est de faire un maximum de pognon, alors pourquoi pas avec une Ponzi, ils sont dans leur rôle. En revanche, quand des institutions et des banques nationales se lancent dans les blockchains, là,

10:57

[Benjamin] je me dis que la blockchain est vraiment un truc que presque personne n'a compris et que quand elle aura fini de cramer la planète, pour rien,

11:05

[Benjamin] ça nous concernera vraiment toutes et tous, et qu'on n'est pas sorti du sable, et qu'on n'a pas fini de devoir expliquer comment ça fonctionne vraiment.

11:11

[Benjamin] …ce que j'espère avoir fait aujourd'hui.

11:13

[Frédéric] Merci Benjamin pour ces explications, on te retrouve le mois prochain en février 2025 et d'ici là au Paris Radio Show à la Bellevilloise le 29 janvier pour un enregistrement de ton podcast RdGP – Rien de Grave Patron – qu'on retrouve sur le site rdgp.fr, également au FOSDEM à Bruxelles le 1er février pour parler de Podcasts 2.0, donc le FOSDEM ça se passe le premier week-end de février à Bruxelles, c'est un groupe des libristes du monde entier donc beaucoup de choses se passent en Anglais,

11:44

[Frédéric] et à AlpOSS, donc ça doit être Alpes Open Source Software, je pense, donc Logiciels Libres dans les Alpes, à Échirolles le 20 février pour parler de Castopod, donc ta plateforme d'hébergement de podcasts dans le Fédiverse, et de Logiciels Libres pour les podcasts.

11:54

[Frédéric] Merci Benjamin.

11:55

[Benjamin] Merci Frédéric.

11:56

[Générique] Libre à vous, libre à vous, libre à vous. L'émission de l'April sur les libertés informatiques. Chaque mardi de 15h30 à 17h sur Radio Cause Commune. Puis en podcast.